La société du Laos
Le Cambodge et le Laos affrontent aujourd’hui des défis similaires : vaincre la pauvreté et préserver durablement leur stabilité dans un environnement régional mouvementé. Bref, réussir à s’insérer dans une modernité mondialisée sans y perdre leur âme, leur identité et leur richesse culturelle.
L’économie du Cambodge
Le Cambodge et le Laos sont l’un et l’autre au nombre des pays les plus pauvres de la planète. Quatre-vingt-cinq pour cent des populations vivent encore en milieu rural et, bien souvent, n’ont guère d’autre perspective qu’une simple économie de subsistance. Les paysans, toutefois, sont fréquemment propriétaires des terrains qu’ils cultivent, y compris au Laos, où, après une assez longue période de collectivisation imposée par le pouvoir communiste, la propriété privée de la terre est redevenue légale.
La structure même de cette économie explique que la mesure du travail effectif, de même que celle du chômage, soit absolument impossible à établir. Le salariat tel que nous le connaissons, encadré, réglementé, contrôlé, ne concerne qu’une très petite fraction de la population. Même dans les villes, l’essentiel des activités relève de ce que l’on appelle l’économie informelle, autrement dit une multitude de petits métiers plus ou moins improvisés, plus ou moins durables, sans aucune protection sociale et où les paiements se font exclusivement en liquide.
Compte tenu à la fois de l’histoire récente des deux pays et de la relative faiblesse de leurs populations, les investisseurs étrangers ne s’y sont pas précipités, loin de là… Aussi, le Cambodge comme le Laos, avec des activités traditionnelles ne générant que de faibles revenus (agriculture, exploitation du bois, pêche…) sont-ils devenus, depuis des années, voire des décennies, fortement tributaires de l’aide internationale, qui représente, par exemple au Laos, plus de la moitié du budget national annuel. Les dernières années ont pourtant vu ce paysage économique et social sinistré évoluer vers une amélioration progressive.
Hydro-électricité, minerais et bois
Le Laos développe l’exploitation de ses ressources naturelles : l’énergie hydro-électrique (plusieurs très grands barrages ont été construits ou vont l’être pour fabriquer et vendre de l’électricité aux pays voisins, en particulier la Thaïlande), les minerais de son sous-sol, et bien sûr la forêt… avec ce que cela entraîne de dégâts écologiques.La manne du tourismeEnfin, les deux pays cherchent à s’ouvrir davantage au tourisme, activité pour laquelle le Cambodge, en particulier, dispose d’un très gros potentiel avec son inestimable patrimoine architectural et historique.
Institutions politiques et administratives
Le paysage institutionnel et politique est fort différent au Laos. La royauté, si elle a subsisté jusqu’à la prise de pouvoir communiste en 1975, n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir. L’exroi Savang Vatthana, initialement maintenu dans des fonctions honorifiques de « conseiller » du nouveau régime, afin de rendre celui-ci plus présentable, a finalement été déporté avec sa famille dans l’intérieur du pays, à la fin des années 1970. Ils y ont trouvé la mort quelques années plus tard, sans que l’on connaisse avec certitude ou précision les causes réelles de cette disparition.
Le pouvoir laotien a souffert économiquement de l’effondrement du bloc communiste voilà presque deux décennies, mais n’a pas pour autant renoncé au dogme révolutionnaire. Il reste aujourd’hui, en dépit de certaines réformes, l’un des derniers régimes marxistes-léninistes « à l’ancienne » de la planète : parti unique détenteur de tous les pouvoirs, économie largement administrée et planifiée, rôle prépondérant de l’armée, surveillance étroite de tous les secteurs de la société, médias sous contrôle.
Loin de la démocratisation Les camps de rééducation et la répression ouverte des délits d’opinion semblent certes avoir été gommés du paysage, mais la démocratisation, au sens où on l’entend en Occident, n’est visiblement pas au programme.
Il faut dire aussi que la dissidence ne s’exprime plus guère : pour la plupart des Lao désormais, le régime tel qu’il se maintient depuis plus d’un quart de siècle est apparemment dans l’ordre des choses. L’essentiel de l’opposition au gouvernement – qui, toutefois, peut sporadiquement s’exprimer par des escarmouches armées – vient des tribus des montagnes du Nord, mais il s’agit moins d’un combat idéologique que de la résistance de minorités ethniques, historiquement rebelles au leadership d’un pouvoir central éloigné.
Pour bon nombre des observateurs politiques du Laos, l’assouplissement futur du régime communiste se fera progressivement par le simple jeu du remplacement naturel des générations au sein du personnel dirigeant.
Découpage administratif
Sur le plan administratif, les découpages institutionnels du Cambodge comme du Laos utilisent le système des provinces : elles sont au nombre de 18 au Cambodge et de 16 au Laos, et sont subdivisées en districts, sous-districts (un peu comparables à nos cantons) et villages.
Population
Là où le Cambodge est relativement simple, il en va tout autrement avec le Laos, dont la population pourtant modeste – moins de cinq millions d’habitants – compose une incroyable mosaïque ethno-linguistique d’une complexité telle qu’il faut probablement être lao soi-même pour s’y retrouver réellement…
Schématiquement, on distingue en général trois groupes principaux, dont l’identité est déterminée, dans ce pays de montagnes, par le niveau d’altitude auquel ils vivent : les Lao Loum (encore appelés Lao des plaines ou Lao d’en bas), les Lao Theung (ou Lao des pentes, Lao d’en haut) et les Lao Sung (Lao des sommets). Les premiers, majoritaires (59,5 % si l’on intègre un sous-groupe appelé les Lao Thai, censé avoir préservé une culture légèrement différente), vivent principalement dans la vallée du Mékong. Les deuxièmes (34 %) évoluent dans les zones de basse ou moyenne montagne. Les derniers, enfin (9 %), résident dans les régions les plus élevées.
Les sous-ensembles ethniques : un système de poupées russes Mais, bien sûr, la classification n’est pas aussi sommaire… Car chaque groupe comporte lui-même plusieurs sous-ensembles ethniques, déterminés par l’histoire, les croyances, le dialecte, les vêtements, les coutumes, la nourriture, etc. Ainsi les Lao Theung se subdivisent en Khamu, Htin, Lamet, Samtao, Sedang, etc., au total près de 40 groupes spécifiques. Même phénomène chez les Lao Sung, qui se répartissent entre Miao, Mien, Akkha, Phu Noi ou Hmong, ces derniers, les plus nombreux, se distinguant eux-mêmes en Hmong blancs, verts, noirs, etc. Un casse-tête !
Il y aurait ainsi au Laos un total de près de 70 groupes ethno-linguistiques distincts les uns des autres. Une stratification qui recoupe en outre des divisions socio-économiques : le groupe des Lao Loum, favorisé par son implantation dans les plaines fertiles, serait le plus prospère des trois, tandis que les malheureux Lao Theung, relégués à des activités plus « serviles », auraient un niveau de vie notablement inférieur aux deux autres.
Ajoutons à ce paysage touffu, enfin, d’autres populations asiatiques d’implantation plus récente (leurs effectifs sont inconnus, la plupart s’étant installés clandestinement dans des régions reculées, souvent chassés de leur pays d’origine par la misère), comme les Vietnamiens et les Chinois, et on aura compris à quel point un simple aperçu de la diversité ethnique du Laos mériterait à lui seul un long voyage d’étude…
La religion au Laos
Le bouddhisme, religion d’Etat au Cambodge et religion majoritaire de fait au Laos, joue un rôle social et culturel important dans les deux pays. Durement réprimés dans les premiers temps de la prise de pouvoir communiste, la pratique religieuse et la tradition monastique, fortement ancrées dans l’histoire et les mœurs locales, n’ont jamais été oubliées par les populations ; même les stricts conservateurs marxistes toujours au pouvoir à Vientiane ont fini par rétablir une entière liberté de culte.
Les très nombreux temples (on dit aussi pagode, le terme local s’écrivant wat au Cambodge, vat au Laos) constituent l’une des constantes du décor quotidien partout dans les deux pays, que ce soit à la ville ou à la campagne. Les communautés de moines et de novices qui peuplent et animent les temples, drapés dans leur tissu orange vif, sont également partie intégrante de ce décor.
Les moines ont en principe fait vœu de pauvreté et vivent, y compris pour leur nourriture, des dons des fidèles, qui de leur côté accumulent ainsi des mérites et des vertus. Il est en principe attendu d’un bon croyant bouddhiste qu’il passe quelques semaines ou quelques mois de sa vie sous la robe du moine dans un monastère, le plus souvent à l’adolescence ou avant le mariage, afin de parfaire son éducation religieuse.Une meilleure intégration régionale Longtemps tenus pour des régimes peu fréquentables, les gouvernements du Cambodge et du Laos sont restés pendant de nombreuses années politiquement isolés de leur voisinage régional. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui regroupe la plupart des pays de cette région du monde, a finalement accueilli en son sein le Laos en 1997 et le Cambodge en 1999. Mais, surtout, les deux pays participent activement désormais aux travaux de la Commission du Mékong. Cette structure internationale réunit les six pays directement concernés par le cours du grand fleuve (Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam, Myanmar et Chine) et vise à développer son aménagement (hydro-électricité, irrigation, navigation, pêche, contrôle des crues, etc.) de façon concertée et pacifique.
Petit Véhicule contre Grand Véhicule La doctrine qui s’est implantée au Cambodge comme au Laos est le bouddhisme hinayana (encore appelé theravada), qualifié de Petit Véhicule, par opposition au bouddhisme mahayana, ou Grand Véhicule, qui s’est plutôt développé en Asie du Nord (Tibet, Chine, Japon, etc.). Les débats théologiques vont toujours bon train dans l’une comme l’autre de ces deux « écoles », chacune estimant bien sûr être la plus proche héritière de l’esprit du bouddhisme originel.
Les détails de l’une et l’autre tradition sont complexes. Pour résumer à grands traits, disons simplement que le Petit Véhicule propose une voie de salut plutôt fondée sur l’action individuelle et se caractérise par une assez grande flexibilité dans la pratique religieuse, alors que dans le Grand Véhicule, encadré par des canons un peu plus rigides, la communauté des croyants et le clergé, qui œuvrent davantage pour un salut collectif, jouent un rôle plus central. Sans juger de la véracité ou non de leur message, les doctrines bouddhistes ont ceci de sympathique qu’elles restent fondamentalement non violentes. Même le prosélytisme demeure pacifique : il n’y a jamais eu dans l’histoire de croisade ou de guerre sainte pour la propagation de la foi bouddhiste…
Un reste d’animisme Signalons qu’à la périphérie de la pratique bouddhiste, au Cambodge comme au Laos, subsistent de nombreuses traces, souvent fort vivaces, des anciens rites animistes : culte des esprits (domestiques et « sauvages ») et des génies, culte des ancêtres, magie pratiquée par des chamans et des guérisseurs, etc.
Vie sociale
Comme presque partout dans le Sud-Est asiatique, la référence majeure de la vie sociale au Cambodge et au Laos reste la cellule familiale. Il s’agit ici de la famille au sens clanique, c’est-à-dire étendue à des ramifications biologiques ou à des alliances parfois très lointaines, famille à laquelle on est attaché( e) non seulement par l’affection mais également par un réseau très dense de services rendus et d’obligations mutuellement consenties.
Le respect des aieux
Tout ce petit monde vit souvent sous le même toit. En l’absence de tout système de retraite, les parents devenus âgés restent au domicile de leurs enfants. On leur marque le plus souvent un réel respect et ce sont fréquemment eux, en contrepartie si l’on peut dire, qui élèvent au quotidien leurs petits-enfants.
Les rôles sociaux
Dans l’intimité de la vie familiale, la division sexuelle des rôles sociaux demeure assez tranchée : les tâches domestiques ordinaires, comme la cuisine, la lessive ou le ménage, sont en principe dévolues aux seules femmes, et il n’est pas rare, au moment des repas, de voir les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre, manger à des moments différents ou dans des locaux distincts.
Des valeurs simples
Même en ville, le quotidien de la vie de famille conserve encore l’empreinte de ces sociétés profondément agraires et rurales que sont le Cambodge et le Laos : des existences plutôt frugales, des activités et des plaisirs simples, la vie au jour le jour restant bien souvent réglée sur les rythmes naturels du lever et du coucher du soleil. Ce qui n’a jamais empêché personne d’accéder au bonheur, au contraire.
Fêtes et coutumes
Le même type de répartition se retrouve au Laos : makkha boukha (février, sermon du Bouddha), visakha boukha (avril ou mai, naissance, éveil et mort du Bouddha), khao phansaa (juillet, carême bouddhique), ho khao padap din (août ou septembre, fête des Morts) pour le calendrier religieux, bang fai (mai, fête des Fusées), bun nam (octobre ou novembre, fête des Eaux et fête des Pirogues) pour le calendrier profane. La fête nationale, qui célèbre l’avènement de la République populaire, se déroule le 2 décembre.
Art et culture
La situation de la production culturelle actuelle au Cambodge et au Laos est similaire à celle de quasiment tous les pays pauvres : elle est en déshérence. Qu’il s’agisse de cinéma, de théâtre, de littérature, de musique ou d’arts plastiques, bien peu de choses s’y créent aujourd’hui. Non pas bien sûr par manque d’envie, d’idées ou d’héritage culturel, mais par manque cruel de moyens : la création et l’activité artistique sont le privilège des peuples qui ont dépassé le stade de la simple subsistance.
Restent, donc, les formidables ressources du patrimoine (l’architecture, la statuaire, l’art religieux), l’artisanat, quelques rares spectacles musicaux, les contes de la tradition orale et, seul domaine artistique à être demeuré un peu soutenu par les pouvoirs publics au Cambodge, la danse : le ballet traditionnel khmer, sur lequel s’extasiaient déjà les étrangers à l’époque de la splendeur angkorienne, continue à être perpétué par la troupe du ballet royal, et constitue un spectacle visuel et musical de toute beauté qu’il faut tâcher de ne pas rater si l’occasion s’en présente.
Le calendrier lunaire
Au Cambodge comme au Laos, contrairement à notre calendrier solaire, c’est aux mouvements de la Lune que se réfère le calendrier traditionnel déterminant les fêtes et célébrations nationales. Ce qui explique que les dates du nouvel an, par exemple, ne soient pas fixes d’une année sur l’autre, mais varient avec une amplitude de quelques jours. Appelé chaul chnam au Cambodge et pii mai au Laos, il est en général célébré plusieurs jours durant aux alentours de la mi-avril. Il donne lieu à de nombreuses processions et festivités au cours desquelles, comme en Thaïlande ou en Birmanie, on s’asperge mutuellement et copieusement d’eau. Une agréable façon de se souhaiter bonheur et prospérité à cette époque caniculaire de l’année.